dimanche 25 octobre 2009

Ivul, d'Andrew Kötting, sublime *****


Il est rare et oh combien plaisant d'être subjugué par la beauté d'une oeuvre, peu importe sa forme. Sans aller jusqu'au syndrôme de Stendhal, dont on ne revient pas forcément, être fasciné est sans nulle doute ce que recherche tout amateur d'art; à en devenir précieux et sélectif; à en chasser l'izard ou le diamant brut.
Le festival de Dinard nous a donné cette chance. Hormis le lauréat du Hitchcock d'or, White Lightnin', dont le jury a su prendre le risque de consacrer la radicalité formelle, la programmation réservait en avant première une autre pépite, une étrangeté, un poisson ou un tramway nommé Ivul, d'Andrew Kötting.

A mi-chemin entre 2 oeuvres majeures, le Mort à Venise de Visconti, pour son esthétique sublime et malaisante, et Pola X de Carax, pour son modernisme, son récit structuré et déstructurant; l'art de convier les arts, Ivul a de quoi déranger; il n'emprunte que très peu aux standards et prend le parti de l'esthétisme, de la littérature; le film est marqué du sceau du baron perché...


Dans un manoir au milieu d’une forêt, Alex, 15 ans, profite de l’été en compagnie de sa sœur adorée, Freya, 18 ans. Avec leurs petites soeurs, leur vieux père excentrique, émigré russe (lignée des Ivul) et leur jeune mère, ils habitent un monde de jeux et de rêves. La famille semble unie. Freya invite son frère à un jeu très intime, tout en symbole, comme l'ensemble d'une film d'ailleurs. La scène rappelle l'admiration de Dirk Boogart pour le jeune enfant prodige (Mort à Venise), la beauté plus que jamais au centre de l'interrogation, ou rappelle encore la fascination de Pierre et ses ambiguités face à sa soeur qu'il n'a jamais connu (Pola X). L’équilibre de la famille s'en trouve ébranlé. Le père -  formidable interprétation de Jean-Luc Bideau - bannit alors son fils, "tu ne remettras plus jamais les pieds sur mes terres" lui assène-t-il. Alex se réfugie sur le toit de la maison, jure à Freya de ne jamais redescendre et de l’attendre pour toujours. Il s’enfonce bientôt dans la forêt, allant d’arbre en arbre sans jamais mettre un pied sur le terrain et observe la décomposition de la famille.
 

La richesse des thèmes évoqués - la nature, la famille, la relation incestueuse, la maladie, les éléments, les origines, l'alcoolisme, l'enfance, la culpabilité, l'autorité, la poésie,... -, la profondeur, la subtilité avec laquelle ils sont adressés, dans un rythme troublant de justesse, dans une poésie extrêmement raffinée, n'a d'égale que l'inventivité de la mise en scène, et les essais particulièrement réussis d'introduire des ellipses empruntés à l'art contemporain.
 
Les personnages se consument, les sentiments se troublent, et la magie opère, nous sommes tout simplement suspendus, admiratifs, touchés. Ce film opère tout en symbole; que ce soit pour évoquer le temps qui passe; les opérations chirurgicales, ou l'indicible, ce que l'on ne voit pas, et que le sourd muet seul a pu voir.
 

Certaines scènes sont tout aussi surprenantes qu'émouvantes, nous pensons notamment à ce dîner de Noël qui nous donne à découvrir la face facétieuse de ce père blessé et refermé, en même temps que le regard des jeunes filles face à cette fête pas comme les autres, ou des êtres chers manquent; ou encore à celle qui voit la mère sombrer dans un délire éthéré et manquer à l'obligation des tâches ingrates de s'occuper du corps immobilisé du père devenu légume et être supplée par la jeune Freya. Le film se termine par une dédicace à celle qui a su préserver l'unité de la famille.
 
Andrew Kötting, réalisateur britannique talentueux, s'est inspiré pour Ivul des relations difficiles qu'il avait avec son père, et de ces nombreuses heures qu'il a passé caché dans les arbres.
 

Ivul est son quatrième film et est à découvrir de toute urgence par tout cinéphile, ce film mérite une - bonne - place dans l'histoire du cinéma.
 
 un carnet de tournage

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